Au Au commencement était le mot
 

1. Dans la première partie, la prière de Jésus se centre sur la réalité de Dieu : son nom, son règne, sa volonté. Dans la deuxième, elle se centre sur la réalité de l´homme : le pain, le pardon, la tentation, la libération du mal. Pour celui pour lequel c´est une question résolue, il peut paraître superflu de demander à Dieu son pain tous les matins. Pour celui qui cherche d´abord le règne de Dieu et sa justice, cela peut paraître inutile. Le pain viendra par surcroît (Mt 6,33). Et cependant, Jésus nous invite à dire : Donne-nous chaque jour notre pain quotidien (Lc 11,3).

2.  La nécessité du pain est le symbole de toutes les nécessités. Le pain est don de Dieu, il nourrit tout être vivant : Tous ils espèrent de toi que tu donnes en son temps leur manger (Ps 104, 27). Une situation de besoin peut se transformer en situation de tentation : Ils parlèrent contre Dieu : ils dirent : « Est-il capable, Dieu, de dresser une table au désert ? »(Ps 78,19-20). C´est pour cela que, dans les Proverbes, on demande : Ne me donne ni pauvreté ni richesse, laisse-moi goûter ma part de pain, de crainte que, comblé, je ne me détourne et ne dise : «  Qui est Yahvé ? » (Pr 30,8-9). Et pourtant, la sécurité du pain ne peut devenir un obstacle, un piège qui écarte le disciple de l´accomplissement de sa mission. C´est pour cela que Jésus dit : Ce n´est pas de pain seul que vivra l´homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Mt 4,4).

3.  Dans les psaumes, Dieu est loué parcequ´il donne ce qui est nécessaire pour vivre : Le Seigneur est mon berger, rien ne me manque. Sur des prés d´herbe fraîche, il me fait reposer (23,1-2). Le fruit de la terre est une bénédiction de Dieu : La terre a donné son produit, Dieu, notre Dieu, nous bénit (67,7 ;65,10). Pouvoir se nourrir au milieu du désert est partie intégrante de l´action libératrice de Dieu : Du pain des cieux il les rassasia (105,40) ; il y est dit aussi : Ils erraient au désert, dans les solitudes, sans trouver le chemin d´une ville habitée ; ils avaient faim, surtout ils avaient soif, leur âme en eux défaillait. Et ils crièrent vers Yahvé leur détresse ; et de leur angoisse, il les a délivrés, acheminés par un droit chemin pour aller vers la ville habitée (107,4-7). Maintenent, il y a des situations de carence qui sont dûes à un manque permanent de conversion : Ah ! si mon peuple m´écoutait, si dans mes voies marchait Israël ... je le nourrirais de la fleur de froment, je le rassasierai avec du miel de rocher (81, 14-17).

4.  Sans pour autant cesser de faire ce qui est entre nos mains, nous sommes invités à confier en la providence de Dieu : Vanité de vous lever le matin, de retarder votre coucher, mangeant le pain des douleurs, quand lui comble son bien-aimé qui dort (127,2). Il est dit aussi : Ses resources, je les comblerai de bénédiction ; ses pauvres, je les rassasierai de pain (132,15). Et tout cela se transforme en en motif de louange et d´action de grâce : Loue Yahvé, mon âme !... il donne aux affamés du pain... il soutient l´orphelin et la veuve (146, 1-9). Et aussi : Loue ton Dieu, ô Sion ! de la fleur du froment il te rassasie (147,12-14).  

5.  La nécessité du pain n´empêche pas les prophètes de proclamer la parole de Dieu. Au contraire, la mission prophétique inclut dans ses signes la générosité, la communication des biens, la multiplication du pain. Tel est le cas d´Élisée qui dit à un homme qui porte vingt pains d´orge et du grain frais en épi : Donne aux gens et qu´ils mangent. Mais l´homme répondit. Comment servirai-je cela à cent personnes ? Élisée s´en tient à la parole de Dieu : On en mangera et il y en aura de reste (2 R 4,42-44). Telle est aussi la confiance du prophète Élie : Jarre de farine ne s´épuisera, cruche d´huile ne se videra (1 R 17,14).

6.  Pour le prophète Ézéquiel, la purification d´Israël – comme c´est le cas maintenant pour la purification de l´Église- aura comme signe la multiplication des biens : Je vous sauverai de toutes vos souillures. J´appellerai le blé et le multiplierai, et je ne vous imposerai plus de famine. Je multiplierai les fruits des arbres et les produits des champs, afin que vous ne subissiez plus l´opprobre de la famine parmi les nations (36,29-30).

7.  Jésus affronte avec ses disciples le problème du pain. Dans la ligne des prophètes, il multiplie le pain au moyen du partage. De cette manière, la communauté des disciples devient un signe de ce que doit être la société. La faim est quelquechose d´inconcevable au milieu d´un peuple fraternel : Les petits réclament du pain, et personne ne leur en donne en partage (Lm 4,4). Comme dans les premières communautés chrétiennes, il s´agit que personne ne soit dans le besoin (Ac 4,34).

8.   Jésus s´en fut sur l´autre rive de la mer de Galilée, celle de Tibériade. Il monta sur la montagne, et là, il s´assit en compagnie de ses disciples. La Galilée n´est ni la Judée, ni Jérusalem.  Là vit le peuple pauvre, « dans les ténèbres », qui a besoin du salut. Beaucoup de gens le suivent  parce qu´ils voient les signes qu´il opère sur les malades. La Pâque est proche, cette fête qui était une fête de libération et qui est devenue maintenant « la fête des Juifs ». Sur une montagne de Galilée, loin du temple de Jérusalem, Jésus prépare une autre fête, la fête du pain partagé et multiplié, la fête de la communauté (Jn 6).

9. En voyant s´approcher beaucoup de monde, il dit à Philippe : D´où nous procurerons-nous des pains pour que mangent tous ces gens ? Il le leur disait pour les mettre à l´épreuve ; le partage est un test pour les disciples. Philippe lui répond : Deux cents deniers ne suffisent pas pour que chacun en reçoive un petit morceau. Un denier était ce que gagnait un ouvrier par jour. André, le frère de Simon Pierre dit : Il y a ici un enfant qui a cinq pains d´orge et deux poissons ; mais qu´est-ce que cela pour tant de monde ? Et c´est ainsi que se réalise l´économie de la communauté, l´économie de la pauvre veuve (2 R 4,2), l´économie du petit : dans ce cas-là, c´est le partage d´un enfant. Le pain est du pain d´orge, comme au temps d´Élysée.

10. Jésus dit : Faites s´étendre les gens. Lors d´une fête, on ne prend pas le repas debout, en hâte. Ici, on le prend assis, avec la dignité des hommes libres : Il y avait beaucoup d´herbe en ce lieu. De plus, on ne mange pas séparément, chacun chez soi, mais tous ensemble. Jésus prend le pain de la communauté, le pain des petits, le pain de la liberté, et il le répartit entre les gens en le resituant dans l´action de grâce pour le don reçu : Alors Jésus prit les pains et, ayant rendu grâces, il les distribua aux convives, de même aussi pour les poissons, autant qu´ils en voulaient. En fin de compte, il en resta : Ils remplirent douze couffins. C´est une allusion aux douze tribus, c´est à dire, à Israël tout entier et un message aussi pour le reste : si l´on partage, la faim peut être rassasiée dans la société dans son ensemble. Les gens perçoivent le signe, ils voient en Jésus le prophète qui devait venir dans le monde. Ils veulent le faire roi, mais Jésus élude la stratégie de la multitude. Son royaume n´est pas de ce monde, bien qu´il soit de toute certitude le roi promis, selon qu´il est écrit : Il foisonnera, le froment sur la terre, il ondulera au sommet des montagnes, comme le Liban quand s´éveillent ses fruits et ses fleurs, comme l´herbe de la terre ! (Ps 72,16).

11.  Le lendemain, les gens cherchent Jésus ; et non pas pour les signes, mais parce qu´ils ont été nourris à satiété. Les disciples ne peuvent en rester là ; le pain est le signe du plus grands des dons. Ils doivent aller au-delà, et ils doivent rechercher le pain de vie, le pain qui descend du ciel et qui donne la vie au monde, ce pain dont nous avons aussi besoin et que nous devons demander : Seigneur, donne-nous toujours de ce pain.                     

12.  Le disciple de Jésus sait que l´homme doit gagner son pain à la sueur de son front (Gn 3,19), et il n´oublie pas l´avertissement de Paul : Si quelqu´un ne veut pas travailler, qu´il ne mange pas non plus (2 Th 3, 10). Maintenant, celui qui cherche par dessus tout le royaume de Dieu et sa justice, celui-là ne semble pas avoir l´assurance du pain de demain. Comme dans l´expérience du désert, l´aliment nécessaire pour vivre est reçu jour par jour. Cette circonstance est assumée dans la prière, sachant que la préoccupation du lendemain ne coïncide pas avec l´esprit de Jésus (Mt 6,34). Le disciple vit au jour le jour, son avenir est dans la main de Dieu. Le disciple ne vit pas isolé, mais en communauté : une communauté où l´on partage et où personne n´est dans le besoin. Il ne demande pas seulement son pain, mais notre pain.

 

* Dialogue : Partage d´expériences.