Au Au commencement était le mot
 
DÉSERT
Lieu de passage

L´expérience de foi implique la traversée du désert, une “terre hostile et redoutable” (Dt 1,19). C´est le prix de l´exode. Plus qu´un lieu géographique, le désert est une situation de difficulté. Il y manque le pain, il y manque l´eau, il n´y existe pas de chemins: “Dans le désert ils erraient, au travers des solitudes, sans trouver le chemin  d´une ville habitée; ils avaient faim, et surtout ils avaient soif, leur âme en eux défaillait” (Ps 107). Le désert est un lieu de passage, il n´est pas un lieu où l´on s´établit; on le traverse pour atteindre une “terre où coulent le lait et le miel” (Ex 3,8). Faire l´expérience du désert: que cela signifie-t-il aujourd´hui?
À cause des difficultés et des manques qu´il implique, le désert est le lieu de la tentation. Au fond, c´est la foi qui est mise à l´épreuve: “Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu t´a fait parcourir pendant quarante ans dans le désert, afin de t´humilier, de t´éprouver et de connaître le fond de ton coeur: allais-tu ou non garder ses commandements? Il t´a humilié, il t´a fait sentir la faim, il t´a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères n´aviez connue, pour te montrer que l´homme ne vit pas seulement de pain, mais que l´homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Yahvé. Et le vêtement que tu portais ne s´est pas usé, et ton pied n´a pas enflé, tout  au long de ces quarante ans! Comprends donc: c´est que Yahvé te corrigeait comme un père corrige son enfant” (Dt 8,2-5).
Comme Moïse (Ex 24,18) et comme Élie (1 R 19,8), Jésus affronte l´expérience du désert. Il le fait sous l´action de l´esprit: ”Il fut emmené au désert par l´Esprit pour y être tenté par le diable” (Mt 4,1). La tentation apparaît (comme une brèche, comme un abîme) entre le baptême de Jésus et le commencement de sa mission. Il remet en question l´expérience de foi vécue dans le baptême (Mt 3,17), il remet aussi en question la mission qui en résulte (4,17).
Dans l´expérience d´Israël, la première tentation se rapporte au pain, symbole de toutes les nécessités. Quand le pain vient à manquer, montent les murmures de reproche contre Moïse et Aaron: “Que ne sommes-nous morts de la main de Yahvé au pays d´Égypte, quand nous étions assis auprès de la marmite de viande, et que nous mangions du pain à satiété? À coup sûr, vous nous avez ammenés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude” (Ex 16,3). Alors surgissent l´interrogation, le doute: “Est-il capable, Dieu, de nous préparer une table dans le désert?” (Ps 78).
Les évangiles présentent les tentations de Jésus comme un combat en trois rounds de la part de l´adversaire. Tout peut paraître très simple, mais, en réalité, tout est truqué. L´adversaire dit à Jésus quand “ après quoi, il eut faim”: “Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains” (Mt 4,3). Là où Israël avait oublié sa mission et, tournant le dos à Dieu, avait désiré revenir aux marmites de viande, Jésus répond: “Ce n´est pas de pain seul que vivra l´homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (4,4; cf. Dt 8,3). Bien entendu, le pain est nécessaire; mais qui vit seulement de pain ne vit pas de façon humaine.
Dans l´expérience d´Israël, la deuxième tentation se rapporte à l´eau: “Ils établirent le camp à Rephidim, mais le peuple n´y trouva pas  d´eau pour boire”. Ils se rebellèrent alors contre Moïse: “ Pourquoi nous-as-tu fait sortir d´Égypte? Est-ce pour nous faire mourir de soif, moi mes enfants et mes bêtes?”. Cet endroit fut apppelé Massa et Meriba, à cause de la révolte des Israélites et parce qu´ils avaient tenté Dieu en disant:” Yahvé est-il est au milieu de nous, ou non?” (Ex 17,1-7).
Dans l´Évangile, l´adversaire conduit Jésus jusqu´à l´impressionnant ensemble de la ville sainte, il le situe sur la corniche du temple et il lui dit: ”Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas” (Mt 4,5-6). Le déplacement de Jésus révèle une stratégie extérieure: l´adversaire lui suggère de provoquer une situation limite pour que Dieu l´en sorte, il essaye, même, de s´appuyer sur les Écritures:” Il donnera pour toi des ordres à ses anges, de peur que ton pied ne trébuche sur quelque pierre” (Ps 91). Là où Israël avait voulu tenter Dieu et obtenir de lui un miracle, Jésus accepte les signes que Dieu lui envoie sans en exiger d´autres. Parce qu´il est écrit: “Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu” (Mt 4,7; cf. Dt 6,16), Jésus reste en-deça des limites de la condition humaine: “Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu´il ne le voie faire au Père” (Jn 5,19). Jésus évite ainsi la tentation originelle de l´homme: “Vous serez comme des dieux” (Gn 3,5), vous vous passerez de Dieu.
Dans l´expérience d´Israël, la troisième tentation consiste à oublier Dieu au milieu de l´abondance et de la prospérité:” Lorsque Yahvé, ton Dieu, t´aura conduit au pays qu´il a juré à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob, de te donner, aux villes grandes et prospères que tu n´as pas bâties, aux maisons pleines de toutes sortes de biens, maisons que tu n´as pas remplies, aux puits que tu n´as pas creusés, aux vignes et aux oliviers que tu n´as pas plantés, lors donc que tu auras mangé et que tu te seras rassasié, garde-toi d´oublier Yahvé qui t´a fait sortir du pays d´Égypte (...). Ne suivez pas d´autres dieux” (Dt 6,10-14). Le “veau d´or” est le symbole de cette tentation (Ex 32).
Dans l´Évangile, de nouveau, apparaît la stratégie extérieure: “ De nouveau, le diable le prend avec lui sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire” (Mt 4,8). L´adversaire se montre à Jésus comme le “prince de ce monde” (Jn 12,31), comme “le dieu de ce monde” (2 Co 4,4); il utilise de façon erronée un psaume messianique:” Je te donnerai en héritage les nations, en propriété les confins de la terre” (Ps 2). En réalité, c´est le pouvoir qu´il lui offre; mais la conscience doit rester soumise, asservie: “Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes et si tu m´adores” (Mt 4,9). L´homme, répond Jésus, ne doit s´agenouiller devant personne, seulement devant Dieu: “Retire-toi, Satan! Car il est écrit: C´est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul tu rendras un culte” (Mt 4,10; cf. Dt 6,13).
Le diable laisse Jésus “jusqu´à la prochaine occasion” (Lc 4,13). Dans chaque cas, Jésus s´en remet à la parole appropriée, dite déjà et une fois pour toutes.  La situation exige discernement: dans le désert, nous pouvons faire l´expérience du silence de Dieu. Le Dieu qui a parlé dans le passé recommencera à parler dans l´avenir quand Lui le voudra. Dieu ne parle pas par artifices de magie, et c´est ce que voudraient lui faire faire les harangueurs, spiritistes et autres devins. Finalement, ce sont des messagers de Dieu qui s´occupent de Jésus (Mt 4,11).
Le désert est un “test” qui révèle ce qu´il y a dans le coeur de l´homme. Dans cette situation, se manifeste sa véritable orientation au plus profond de lui-même. Paul rappelle à la communauté de Corinthe que le désert met à découvert les intentions d´un peuple désireux de ce qui est mal, d´un peuple qui ne fait pas confiance à Dieu. Là se trouvent les péchés du désert: idolâtrie et fornication, mettre Dieu à l´épreuve, murmurer (1 Co 10,6-10). La génération du désert est “de révolte et de bravade” (Ps 78); “ Quarante ans, cette génération m´a dégoûté; (...) ces gens ont un coeur errant, ils n´ont pas connu mes voies” (Ps 95).
Le désert est aussi un lieu de rencontre de l´homme avec Dieu. Dieu lui-même prend soin de ce que son peuple ne défaille pas. En regardant en arrière, le peuple peut reconnaître avec stupéfaction l´action de Dieu: “Le vêtement que tu portais ne s´est pas usé, et ton pied n´a pas enflé, tout au long de ces quarante ans!”(Dt 8,4). Ce qui aurait pu être le tombeau du peuple, Dieu le convertit en un lieu de passage sur la route d´une terre magnifique, habitable et fertile. Dieu ouvre des chemins là où il n´en existe pas; il met “ dans le désert, un chemin; dans la steppe, des rivières” (Is 43,19). Il nous faut collaborer avec Lui; c´est ce qu´annonce Jean le Baptiste: ”Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers: tout ravin sera comblé, et toute montagne ou colline sera abaissée; les passages tortueux deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés. Et toute chair verra le salut de Dieu!” (Lc 3,4-6).
Le désert et la croix constituent, d´une certaine manière, des réalités équivalentes. La croix, la mort en croix: c´est le pire des déserts. Jésus a accepté d´en passer par la croix “afin que quiconque croit ait, par lui, la vie éternelle” (Jn 3,15). Le Dieu vivant, celui qui ouvre un chemin là où il n´y en a pas, au milieu de la mer comme au milieu du désert, ouvre bel et bien aussi un chemin là où il n´y en a aucun: au milieu de la mort.
Le désert peut se faire moyen de croissance et de libération: “Il y avait un oiseau qui se refugiait tous les jours dans les branches sèches d´un arbre qui se dressait au milieu d´une immense étendue désertique. Un jour, une rafale de vent arracha l´arbre et ses racines, et obligea le pauvre oiseau à parcourir en volant cent miles à la recherche d´un nouveau refuge... jusqu´à ce que, finalement, il arrive à une forêt d´arbres chargés de fruits. En réalité, si l´arbre sec s´était maintenu debout, rien n´aurait induit l´oiseau à renoncer à sa sécurité et à prendre son vol” (A. De Mello).
• Dialogue: sur l´expérience du désert
- il est un lieu de passage, le prix de l´exode
- c´est une situation difficile: manque de pain, manque d´eau, il n´existe pas de chemins, c´est le lieu de la tentation
- la tentation d´oublier Dieu au milieu de la prospérité, la tentation du pouvoir
- dans le désert, préparez le chemin du Seigneur
- Dieu ouvre des chemins là où il n´en existe pas
- il se fait moyen de croissance et de libération