Au Au commencement était le mot
 

Au moment de l´arrestation, en pleine tension et en plein drame, Jésus dit à Pierre: Range ton épée dans son fourreau (Jn 18,10). Il se peut que nous soyons surpris en voyant un disciple (et pas nimporte lequel) empoigner son épée. Certains, au-moins, la portaient sur eux. Dans son option messianique, Jésus renonce à la violence, mais il ne condamne pas le droit à la légitime défense. Pour comprendre un peu mieux, il nous faut replacer le disciple de Jésus dans son temps. 
À l´époque de Jésus, il existait un mouvement de résistance religieuse et politique, le zélotisme (du grec zelos, le zèle). Gardiens jaloux de la loi, et même fanatiques, ils attendent le règne de Dieu dans un avenir proche. Parmi eux, les zélotes à proprement parler ont un programme de réforme radicale du culte et du sacerdoce. Quant aux sicaires (assassins à gage) ils ont un programme plutôt politique, orienté vers l´expulsion des Romains et l´établissement du royaume d´Israël. Tous, ils veulent provoquer le changement par la force. L´agitation des Juifs se termina par la guerre contre les Romains et par la prise de Jérusalem (en 70 avant J. C.). Les premiers chrétiens ne firent pas la guerre, ils se réfugièrent de l´autre côté du Jourdain.
C´est de la Galilée, la région (en hébreu, galil) des païens, que surgissaient les mouvements qui inquiétaient tellement les Romains. Les Galiléens avaient “toujours combattu toute invasion hostile”, et ils étaient “habitués dès l´enfance à la guerre” (F. Josèphe, Guerre des Juifs,3,41). Les Romains, eux, “voyaient” des zélotes de tous côtés. C´est ainsi que le tribun de Jérusalem découvre que Paul n´est pas l´Égyptien qui a provoqué la mutinerie de 4.000 sicaires et qui les a entraînés au désert (Ac 21,38). Pour sa part, le rabbin Gamaliel  (5,34 et suivants) considère que le cas des disciples de Jésus peut être un cas à part de celui des chefs zélotes, Theudas et Judas le Galiléen, dont la révolte fut écrasée dans le sang.
À notre époque, des groupes en liaison avec le combat social et politique contre les institutions en place font de Jésus un zélote, un révolutionnaire, un combattant de la guerrilla. De même que des groupes conservateurs en font le défenseur de l´odre établi. Et malgré tout, on ne peut simplifier avec autant de facilité cette question. La réalité est plus complexe. Les évangiles contiennent des traits qui rapprochent Jésus des zélotes et d´autres qui l´en séparent. Ceux qui veulent interpréter avec sérieux les évangiles se doivent d´expliquer ces traits, les uns aussi bien que les autres, et considérer “ la possibilité de ce que, sans tomber sous le coup de la contradiction, l´attitude de Jésus vis à vis des institutions de ce monde ait pu être complexe”(O. Cullmann).    
Les traits qui rapprochent Jésus des zélotes sont les suivants: son annonce du royaume de Dieu (Mc 1,15;cf. Ac 1,1-11); le fait de dénoncer l´injustice sociale (Lc 6,24); sa position critique face à Hérode (Lc 13,32) et face aux puissants de la terre, qui dominent comme des souverains absolus et et se font appeler bienfaiteurs (Lc 22,25); certaines phrases sur le fait de porter l´épée (Lc 22,36); la vie et l´activité de Jésus que les gens veulent faire roi (Jn 6,15); parmi les douze, il y en a un (Simon), appelé “le zélote” (Lc 6,15 et Ac 1,13; dans  Mc 3,19 et Mt 10,4 , il est appelé “le cananéen”, de la racine quana, zèle,en hébreu); un autre, Judas Iscariote, porte un surnom qui semble une déformation de “sicariote”; et il y a Simon Pierre, qui porte une épée; le zèle pour le temple qui est souillé et qui a besoin d´être purifié (Jn 2,17); le fait que les Romains aient condamné Jésus en  tant qu´agitateur zélote, selon ce qui est écrit sur l´écriteau de la croix (Jn 19,19).
Les traits qui séparent Jésus des zélotes sont: sa conception du royaume, qui vient de Dieu: la semence du royaume pousse d´elle-même (Mc 4,28); ses paroles qui concernent la non-violence et l´invitation à ne pas rendre le mal pour le mal (Mt5,39 et suivants); l´amour pour les ennemis (5,44); le bonheur accordé aux pacifiques (5,9); l´éloge de la foi du centurion (8,10); le fait que Jésus admette entre les siens Mathieu “le publicain” et qu´il prenne des repas avec des représentants de l´ordre établi comme lui (9,9-13); l´appel à la conversion dans le but de ne pas périr comme les Galiléens, dont Pilate mêla le sang à celui de ses sacrifices (Lc 13,1-5); la réponse évasive, face à la question sur l´impôt dû à l´empereur (Mc 12,13-17); le rejet d´une conception politique de sa mission comme de la grande tentation (Mt 4,9); l´entrée à Jérusalem à dos d´âne (Za 9,9), symbole de sa mission pacifique; le fait de considérer Jésus comme du bois vert en le différenciant du bois sec (Lc 23,28 et suivants); la déclaration de ce que son royaume n´est pas de ce monde (Jn 18,36).
Les zélotes ne reçoivent pas de Jésus des promesses de triomphe, mais plutôt ( de façon sous-entendue) des paroles de critique: ils conduisent leurs partisans à se faire égorger par les Romains, comme ce fut le cas pour les Galiléens (Lc 13,3); ils voient venir le loup et ils fuient; ce sont des salariés auxquels les brebis importent peu; ils n´entrent pas par la porte, ils escaladent par un autre côté; ce sont des voleurs et des agresseurs, ils volent, ils tuent et ils détruisent (Jn 10,1-21; cf. Is 11,6;65,25; Ac 20,29). Jésus, le prophète galiléen (Mt 21,11), ne veut pas qu´on le confonde avec ceux qui l´ont précédé (Jn 10,8).
Sans aucun doute, la purification du temple gêne les défenseurs de l´ordre établi, mais il ne s´agit pas d´un acte zélote. À la manière des prophètes, le Christ annonce la destruction du temple (Mc 13,2) et il se fait sentinelle de l´épée qui approche (Ez 33,1-6). Ce sont les adversaires qui déforment ses paroles: Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours, je le relèverai ... Mais lui parlait du sanctuaire de son corps (Jn 2,19-21; cf. Mc 14,58). Par ailleurs, Jésus respecte le cadre du temple (Mc 5,23), comme il respecte la tradition (Mt 23,3). Ceci étant posé, il met l´accent sur les éléments qui empêchent la réalisation de la volonté de Dieu: Vous avez entendu qu´il vous a été dit... eh bien, moi je vous dis. De même que Jésus respecte la mission d´Israël (Mt 10,6), mais il n´identifie pas le royaume d´Israël avec le royaume de Dieu. Par rapport aux samaritains et aux païens, il maintient une position ouverte: Beaucoup viendront du levant et du couchant (8,11).
Jésus dénonce l´injustice sociale de l´ordre établi, ce qui constituait l´une des préoccupations des zélotes: malheur à vous, les riches! (Lc 6,24). Il proclame  bienheureux les pauvres, parce que le royaume de Dieu leur appartient (6,20). La parabole du riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19 et suivant) est une dénonciation des grandes inégalités sociales; ainsi en est-il de la parabole de celui qui accumule des richesses (Lc 12,16-21). Et cependant, Jésus ne s´impose pas par la force, il appelle à la conversion. La question sociale se résoudrait d´elle-même, si chacun se convertissait. Tel est le cas de Zachée, le chef des publicains, qui donne la moitié  à ceux qui en ont besoin (Lc 19,2 et suivants). Les premiers chrétiens partagent leurs biens  non pas prce qu´ils y sont obligés, mais à partir d´une décision prise librement (Ac 4,36 et suivants; 5,4).
Les grands prêtres et les pharisiens décidèrent de dénoncer Jésus: “Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils supprimeront notre Lieu Saint et notre nation”(Jn 11,48). Pour eux, le mouvement populaire favorable à Jésus prenait des proportions inquiétantes. Pilate condamne Jésus en tant qu´ insurgé politique, en tant que zélote. Et cependant, il relâche Barabbas qui, lui, de toute certitude, l´était (Mc 15,7). Jésus fut soumis à la peine de mort romaine,  la crucifixion, et l´écriteau de la croix indiquait le motif de la condamnation: la tentative  zélote de devenir roi d´Israël. Et pourtant, Jésus avait échappé à la stratégie de la foule quand elle avait voulu le proclamer roi (Jn 6,15). Malgré une certaine sympathie pour certains de ses aspects (Mt 11,12), jamais il n´adhéra au mouvement zélote.
Face à la fin, Jésus prépare les siens à ce qui approche: Que celui qui n´a pas d´épée vende son manteau pour acheter une épée (Lc 22,36). Les disciples lui disent: Il y a justement ici deux épées, ce à quoi répond Jésus, comme s´il interrompait la conversation: C´est bien assez! Au moment de l´arrestation, arrive un groupe armé d´épées et de bâtons (Mc 14,43). Les disciples lui demandent: Nous degainons l´épée? Et lorsque l´un d´eux la sort (Pierre) et blesse le serviteur du Grand Prêtre en lui tranchant l´oreille, Jésus lui dit: Rengaine ton épée; car tous ceux qui prennent l´épée périront par l´épée (Mt 26,52; Ex 29,20). Jésus soigne celui qui est blessé (Lc 22,51) et sauve le disciple (Jn 18,8). Il dit aussi: La coupe que m´a donnée le Père, ne la boirai-je pas? (18,11), ou penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur le champ plus de douze légions d´anges? (Mt 26,52), chaque jour, j´étais assis dans le temple, à enseigner, et vous ne m´avez pas arrêté (26,55), mais c´est votre heure et le pouvoir des ténèbres (Lc 22,53). Jésus est arrêté de nuit. Tant qu´il s´était déplacé publiquement (Jn 11,54), de jour, les gens le protégeaient (Mc 12,12). Mais Judas, le traître, connaissait bien les mouvements de Jésus (Jn 18,2).
* Dialogue: à propos du renoncement à la violence et du droit à la légitime défense.